Une épopée culturelle autour de la Méditerranée

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dimanche 31 juillet 2011

Jazz et folie ou l’art de la déconstruction dans le style de Thelonious Monk




Thelonious Monk - Round About Midnight: L'envie irrépressible de pleurer, C'est affreusement beau. A s'en crever les yeux ! Veuillez me pardonner ces métaphores débiles mais c’est ma façon de ressentir l’intensité tragique de cette somptueuse pièce. Car en effet on peut rapprocher le va-et-vient permanent du jeu in/out, d’une navette entre folie et raison souvent créatrice de génie artistique. Les schèmes psychopathologiques n’étant accessibles qu’à ces derniers par exemple. Le drame de la destruction, drame, cet enfermement psychologique, souffrance post-moderne s’il en est, enfer quotidien d’une nouvelle prise de conscience : la sauvagerie de l’Homme n’a jamais baissé, sa barbarie atteint cruellement le degré de son intelligence, si haut soit-il, et les moyens qu’il se donne s’est donné où se donnera pour la réaliser n’ont pas de limite ; en un mot tout n’était qu’utopie et c’est bien la fin, la mort définitive (si, si) des utopies !

Le titre alternatif pour ce texte était : « Jazz et folie ou l’art de la déconstruction dans le style de Thelonious Monk en contre-duo avec Coltrane. » Je souhaite l’inscrire ici comme sorte de sous-titre, si je puis me permettre.

Miles Davis disait dans une entrevue française : « Je joue contre le contretemps du contretemps » à son retour d’une tournée africaine. Il reconnut ensuite avoir été parfois déconcerté par la richesse et la complexité des rythmes africains.

On observe chez Monk un style volontairement décousu, fragmenté tel un bâtiment ruiné par un bombardement frais ; un style mono-tonal, un ton dominant, le gris de l’après-guerre, mais cela n’est guère étonnant, étant donné qu’il s’agit d’un blues en la bémol. Une tonalité issue du registre bas médium si je ne m’abuse, donnant une sonorité relativement grave… mais parsemée ci et là de fragments mélodieux d’une rythmicité qui confine au génie le plus inspiré. Nonobstant, une psychologie qui semble incompatible avec toute notion de rythmique traditionnelle. En revanche, le génie de ses phrasés semble tout droit sorti d’un délire psychiatrique tel le leitmotiv apaisant d’une folie consciente d’elle-même. Il n’a de talent, et pas des moindres, que pour la phraséologie musicale ; ce qui fait essentiellement de lui un poète lyrique, un voyageur nomade surfant comme un cavalier fou volant au sommet des dunes jonglant des articulations rythmiques et modales tel un génie de cette alchimie unique que seuls possèdent les grands romanciers et les jazzmen purs, celle de pouvoir transformer toute matière en diégèse et par-là même en lyrisme, quintessence de l'Art. Ce qui est bien conçu ne se perd jamais car s’il est doté de génie, il est alors doté du génie de transcendance au temps ! Monk avait de son temps vingt ans d’avance, mais une intuition si pure, un si brillant génie dans le chaos, que rien, non rien ne saurait le faire cesser de luire jamais ; ô grand jamais !

L’usage du thème de la carte postale jaunie aux bordures effritées semble consacré au rang topos de la musicalité, de même que l’art de l’intertexte déconstruit semble maîtrisé parfaitement dans ‘Round About Midnight : ici, l'imitation d’un vieux piano automatique désaccordé qui se détraque et ralentit un peu plus à chaque couplet, ce que l’on pourrait qualifier de « déconstruction temporelle » ; là, c'est une machine industrielle qui s’emballe et on assiste alors à une « déconstruction du lexique tonal » par le recours à des thèmes chaplinesques. La magie prend, Monk est un peintre cubiste. Un phrase me vient à la bouche : Monk est bien le plus grand pianiste de Jazz de l’Histoire. Bien que Bill Evans eût son mot à dire. Je crois que tous les hommes qui ont la chance de s’intéresser au jazz ont dû penser cela à un moment donné de leur vie. Ou bien peut-être aurai-je cueilli cette citation dans un film d'Alfred Hitchcock?

Ce sont là tout autant d’indices d’une génération prise entre un air d’après-guerre et une ère post-industrielle, le tout baignant dans un climat de guerre froide en tension croissante. Bref… une ambiance grise et terne et des images de destruction surgissent de nulle-part, des images de honte et de désillusion, en somme, une esthétique de la destruction qui faisait à sa façon également gloire au plus important tableau du vingtième siècle : Guernica de Picasso.




Parmi les musiciens, il est des peintres impressionnistes, des aquarellistes expressionnistes, Monk était quant à lui un indéniable cubiste. Sans doute le plus génial d’entre eux.